Mali : le numérique, l’espoir pour la mise en oeuvre d’un contrôle citoyen efficace ?

Article : Mali : le numérique, l’espoir pour la mise en oeuvre d’un  contrôle citoyen efficace ?
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25 avril 2017

Mali : le numérique, l’espoir pour la mise en oeuvre d’un contrôle citoyen efficace ?

Ayant passé plus de 23 ans sous le joug militaire, l’insurrection populaire de mars 1991 devait être l’ère d’une nouvelle forme de gouvernance au Mali. Tout portait à croire que la redevabilité et le contrôle citoyen auraient tous leur sens. Mais hélas, l’espoir né, va se muer en désespoir. Au fil des années, cette société civile va se vider de sa quintessence au profit de l’État qui se débarrasse ainsi d’un contrôle bien embarrassant. Cependant depuis le coup d’état de 2012, certaines revendications montrent une prise de conscience des populations. Elles exigent de plus en plus, leur implication dans les prises et exécutions de décisions les concernant. Est-ce là, le début de l’institution d’un véritable contrôle de l’action publique ?

 

Des médias traditionnels au numérique, l’espoir ?

Bien qu’avec l’ouverture démocratique de 1991, on ait assisté à une floraison de médias, ces instruments qui devaient aider à asseoir une veille citoyenne efficace n’ont pas véritablement répondu à l’attente. Les 500 radios Fm et les 120 journaux écrits (Baromètres des Médias Africains) n’ont pas pu apporter un changement notable dans la gestion du pouvoir. Cependant, avec l’ère du numérique, une nouvelle tendance est en train de naitre. Sur les réseaux sociaux on assiste de plus en plus à une certaine veille citoyenne. Des campagnes sont organisées à partir de ces nouveaux médias qui souvent aboutissent sur des actions de terrains. A titre illustratif, nous avons la plateforme Malilink qui depuis quelques temps fait un travail de veille assez remarquable. Nous avons aussi Benkansenben une application mobile de type Androïde développée par la Fondation Tuwindi pour permettre aux populations de suivre la mise en œuvre de l’accord de paix. Dans la veille citoyenne au Mali,  les réseaux sociaux aujourd’hui occupent une place de choix. Toutes les actions gouvernementales sont passées au peigne fin. 

Affiche de comptage des déplacements du président à l’extérieur du Mali par https://malilink.net/

Des nombreux déplacements du président souvent jugés inutiles au cas de rackets des policiers,  les maliens ont trouvé un espace nouveau d’expression qui échappe à tout contrôle de l’État. On assiste de plus en plus à une floraison de blogueurs,  de youtubeurs et d’influenceurs qui assurent la veille et lancent des alertes,  souvent sur des problèmes de gouvernance ou souvent pour juste apporter de l’assistance à des personnes démunies où en danger. C’est le cas de l’association Kisal, une association de la jeunesse peulh. À travers sa page Facebook,  Kisal alerte sur les cas de violation des droits humains dans la région de Mopti qui est en proie à des conflits communautaires.

Pour mieux cerner le retard dans la mise en place  de ce  contrôle citoyen qui pourtant avait été bien  amorcé, revenons sur le processus démocratique au Mali.

Confusion  société civile et pouvoir

image archive des manifestants en mars 1991/ Crédit: MaliActu/https://maliactu.net/wp-content/uploads/2016/03/26-mars.jpg

Après l’avènement de la démocratie, les organisations de la Société Civile qui avaient fonctionné comme un véritable contre-pouvoir, vont se transformer en partis politiques. Ainsi, les associations telles que le Comité National d’Initiative Démocratique(CNID) et l’Association pour la Démocratie au Mali (ADEMA) vont devenir des partis politiques. Les leaders des autres mouvements notamment l’Association des Élèves et Étudiants du Mali vont pour la plupart se fondre dans l’appareil Étatique. Ces organisations qui ont pourtant été les fers de lance de la chute du régime Moussa Traoré, auraient pu être les bases d’une société civile forte. Cette société civile qui devait servir de contre-pouvoir afin d’inciter l’État à instaurer une bonne gouvernance sera donc affaiblir. Si pendant la présidence d’Alpha Oumar Konaré (1992 à 2002), on a assisté à une multiplication des associations, force est de reconnaitre que ces organisations étaient peu structurées pour mener un contrôle efficace de l’action gouvernementale. L’arrivée au pouvoir d’Amadou Toumani Touré (ATT) en 2002, n’arrangera rien à cette situation. Pire, avec le sensualisme instauré à cette époque, il était difficile de distinguer le pouvoir de la société Civile. L’imbrication entre les syndicats, la presse, les associations et l’État avait atteint un tel niveau que l’émergence d’un contrôle citoyen était devenu impossible. Ces groupes étaient devenus pour la plupart dépendants du pouvoir. L’Association des Élèves et Étudiants du Mali(AEEM) et Le Conseil National de la Jeunesse(CNJ) devient ainsi, des instruments au service du pouvoir. Des organisations de la société civile sont créées à la solde du dirigeants politiques. Ce manque d’intérêt de la population pour la chose publique entrainera une corruption généralisée, une mauvaise gouvernance qui conduira à l’effondrement de l’État en 2012.
Avec une rébellion au nord et après un coup d’État au sud, un fort engouement des populations pour la chose publique sera perceptible lors des élections de 2013. De mémoire de maliens, on n’avait pas vu un taux de participations aussi élevé. Plus de 45% de maliens prendront part à cette élection. Ibrahim Boubacar Keita sera plébiscité avec de 77%. Mais très vite, on se rendra compte que l’un des problèmes majeurs de la société civile est sa capacité à analyser les décisions politiques, les programmes de gouvernement…
De 2013 à nos jours le Mali n’a pas connu d’améliorations notables en ce qui concerne sa gouvernance. Des cas de mauvaises gestions des fonds publiques sont relatés régulièrement par la presse. Le front social est en ébullition mais la réaction de la société civile « traditionnelle »  est restée  timide .

Le contrôle religieux

Le president du Haut Conseil Islamique du Mali lors d’un meeting organisé au stade du 26 mars de Bamako . Crédit : aBamako / https://news.abamako.com/p/2269.html

Le vide laissé par la société civile en matière de contrôle de l’action gouvernementale sera occupé partiellement par les leaders religieux à leur avantage. En effet si la société civile n’arrive pas à peser dans les choix et décisions politiques, les leaders religieux y parviennent. On assiste même à une montée en puissance du lobby religieux. Déjà en 2009, ils donnaient un signal fort en faisant reculer l’État sur son projet de code des personnes et de la famille. Depuis cette date, ils n’hésitent pas à chaque fois qu’ils ne sont pas d’accords avec des  décisions gouvernementales de peser de tout leur poids pour faire échec.

Désormais sur les réseaux sociaux,  les initiatives se multiplient mais pouvons-nous pour autant espérer un véritable décollage du contrôle citoyen au Mali?  

L’avenir nous le dira .

 

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Commentaires

Lougaye Almouloud
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Une analyse de belle facture mon cher Ben. Avec le numérique les choses vont changer forcément. Il faut cependant trouver les moyens de lutter contre la censure et faire comprendre l'opinion notamment les leaders religieux de l'importance de ce nouveau mode d'expression.

mamadouben
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Tout à fait Lougaye, il est important que les gens s'accommodent avec cette révolution Si l'on ne veut pas rester en marge de ce tournant

Mariam Mamian Diakité
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J´écris sur la démocratie digitale, le cas du Mali et cet article m´a vraiment fait avancer dans mes recherches.

Merci à l´auteur.

mamadouben
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Je vous en prie Madame
Si je peux être utile pour d'autres informations, merci de me le faire savoir.