Mali: Une jeunesse indignée tente de s’organiser

Article : Mali: Une jeunesse indignée tente de s’organiser
Crédit:
24 juillet 2016

Mali: Une jeunesse indignée tente de s’organiser

 Mali: Une jeunesse indignée tente de s’organiser

C’est une tautologie aujourd’hui d’affirmer que le Mali va mal : mauvaise gestion de la crise du Nord, mauvaise gouvernance, manque de vision politique, front social en ébullition, chômage galopant  des jeunes…

Face à toute cette situation, une jeunesse de plus en plus consciente s’engage pour constituer une masse critique afin d’interpeller les gouvernants. Malheureusement, des tentatives pour museler cette jeunesse sont en cours : privation  de leur droit de manifestation, pressions morales et religieuses sont légions. 

La jeunesse doit-elle pour autant s’avouer vaincue ?

Doit-elle baisser les bras ?

Ne doit-elle pas faire sienne cette citation : « Nan lara an sara » soit « Si nous couchons, nous sommes morts », du professeur Joseph Ki Zerbo ?

Nous sommes en 2013. Le Mali s’achemine vers la fin de la transition : une élection présidentielle va permettre d’élire un nouveau président qui aura la lourde tâche de sortir le pays de la crise politico-militaro-sociale. Les défis sont nombreux. Parmi eux, il y a surtout la question relative à la rébellion et à l’expansion du terrorisme dans les régions du Nord du pays mais il y  a aussi l’épineuse question du chômage des jeunes.

On compte environ 28 candidats.  Chaque candidat présente un programme plus ou moins ficelé qui, en plus des préoccupations majeures du moment, prévoit notamment la  création d’emplois pour résorber le problème du chômage des jeunes.

 

Le candidat malheureux à l'élection présidentielle de 2013 : Soumaila Cisse
Le candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2013 : Soumaila Cisse

Ainsi,  le Président de l’URD (Union pour la République et la Démocratie),  Soumaila Cissé,  candidat au second tour, prévoit dans son programme la création de 500 000 emplois. Il ne sera pas élu.

Le président du RPM (Rassemblement pour le Mali),  Ibrahim Boubacar Keita,  lui, prend l’engagement de créer,  s’il est élu, 200 000 emplois.  Le peuple voit en lui le messie qui conduira le Mali à bon port. Il sera élu avec un taux record.

Affiche de campagne du président Ibrahim Boubacar KEITA avec quelques promesses de campagne
Affiche de campagne du président Ibrahim Boubacar KEITA avec quelques promesses de campagne

Trois ans après son élection,  le constat est amer. Le pays n’est malheureusement pas sorti de crise. Le chômage des jeunes a connu une ascension fulgurante. Les 200.000 emplois sont devenus un leurre. Le ministère en charge de l’emploi et de la formation professionnelle cherche lamentablement, à travers des sorties médiatiques hasardeuses, à  berner l’opinion publique comme quoi tout va bien et que les 200.000 emplois promis sont en voie d’être atteints.

Plusieurs mouvements de jeunes crient au scandale. Et s’organisent à travers une organisation  »Bi-ton » pour manifester et réclamer le respect de l’engagement pris par le président de la République pour la création de 200.000 emplois, qui donnera lieu à un grand rassemblement du 23 juillet 2016 au stade Mamadou Konate de Bamako.

Affiche pour la marche du samedi 23 juillet
Affiche pour la marche du samedi 23 juillet

Les réseaux sociaux sont mis à profit,  une campagne de mobilisation s’étend sur plusieurs semaines.

Sega diarrah, leader du mouvement '' Bi-Ton
Sega Diarrah, leader du mouvement  » Bi Ton  »

Plusieurs jeunes adhèrent au mouvement.  Cependant à la veille du rassemblement, coup de théâtre.

Les autorités font intervenir les religieux et les familles fondatrices de Bamako qui aujourd’hui sont devenus l’Appareil d’Aliénation des Consciences (‘AAC’) du pouvoir.

Ceux-ci interpellent les ténors du mouvement afin que le rassemblement puisse être annulé.  Ils évoquent le deuil national de trois jours décrété à la suite de l’attaque du camp de Nampala et qui a fait 17 morts au sein des  forces armées du Mali (FAMA) . La manifestation  n’est par ailleurs pas autorisée  par le gouvernorat du district.

Cependant  sous l’égide du ministère de l’emploi et de la formation professionnelle, accompagné par une organisation de jeunesse  manipulée, à la solde du pouvoir,  un autre contre-rassemblement improvisé est lui organisé le même jour au palais des sports de Hamdallaye ACI 2000  sous forme d’un forum, pour soi disant proposer des voies et moyens pour solutionner la problématique de l’emploi des jeunes.

Logo improvisé pour le forum, prit sur la page dédiée à cet effet
Logo improvisé pour le forum, prit sur la page dédiée à cet effet

 

Certains artistes invités à prendre part au rassemblement de  »Bi Ton » sont corrompus et invités à faire des vidéos de propagande sur les réseaux sociaux.

Face donc aux revendications d’une jeunesse exaspérée par la mauvaise gouvernance,  le pouvoir en place fait de plus en plus recours à la restriction de la liberté de manifestation ou  à la technique de la terre brûlée : diviser  pour mieux régner.

On met à dos les organisations de jeunesse et on fait de la diversion. Ce qui n’est pas sans danger.

Il n’est pas rare d’entendre dans certains milieu de jeunes notamment ceux ayant bénéficié des largesses du pouvoir :

 « c’est pas au gouvernement de créer de l’emploi »

Quel raccourci ?

On semble dans ces cercles oublier d’abord l’engagement pris par le président de créer des emplois pour les jeunes (200.000 précisément), ensuite que c’est au gouvernement de créer les conditions idoines pour la création d’entreprises en favorisant un climat de confiance  pour les investisseurs,  mais que depuis  l’accession au pouvoir du président Ibrahim Boubacar Keita,  la situation sécuritaire tarde à s’apaiser, et que le pays fait face à une instabilité de plus en plus grandissante. Enfin, retenons que c’est encore au gouvernement de mettre en place des mesures pour accompagner les initiatives de jeunes, notamment dans le domaine de l’entrepreneuriat.  Si dans des pays tels que les États-Unis, les startups ont pu connaître un certain succès, c’est que les conditions idoines ont été mises en place par les autorités.

Aujourd’hui plus que jamais, la principale organisation de jeunesse est désavouée par la grande majorité de cette franche de la population. Elle s’est décrédibilisée en passant des compromis avec le gouvernement et en abandonnant la défense des intérêts de cette jeunesse dont elle est sensée porter les revendications auprès des décideurs.

Pour pallier donc à cette instrumentalisation de la principale organisation de jeunesse au Mali,  plusieurs collectifs ont vu  le jour.

  • On peut ainsi citer le mouvement  »#TropCestTrop » pour dénoncer la mal gouvernance.
Logo de la plateforme des jeunes #TropCestTrop
Logo de la plateforme des jeunes #TropCestTrop

 

  • Le mouvement   »#Zaa-kossey »  pour dénoncer la mise en place des autorités intérimaires :

 

Des membres du mouvement Zaa Kossey lors de la manifestation de soutien aux jeunes de Gao
Des membres du mouvement Zaa Kossey lors de la manifestation de soutien aux jeunes de Gao
  •  »Bi Ton » pour l’emplois des jeunes
Logo du mouvement '' Bi Ton
Logo du mouvement  » Bi Ton »
  • La plateforme  »#Yermatoun » en gestation à Tombouctou avec la bloggueuse Fatouma Harber et ses amis.

 

Les membres de la plateforme Yermatoun lors d'une manifestation de soutien aux jeunes de Gao à Tombouctou
Les membres de la plateforme Yermatoun lors d’une manifestation de soutien aux jeunes de Gao à Tombouctou

Ces plateformes et organisations de jeunes pourront-elles sortir des sentiers battus et constituer une masse critique pour se faire entendre des dirigeants ?

Elles se laisseront toujours anéantir par les autorités politiques,  religieuses ou traditionnelles dans leur tentative de mobilisation et de revendication ?

Dans tous les cas,  le slogan :

« Oser lutter c’est oser vaincre » 

slogan tant prisé par l’AEEM (Association des Élèves et Étudiants du Mali) mais malheureusement slogan vidé de son essence par cette même organisation qui se caractérise par la violence, la corruption… N’a jamais eu autant de valeur et de sens qu’aujourd’hui.

Trop de frustrations appellent à la révolution, il est donc temps pour les autorités d’entendre cette jeunesse qui grogne…


Partagez

Commentaires

tchekany
Répondre

C'est assez pathétique, cette façon que nos gouvernants ont de copier sur la france pour diriger nos pays. Juste pour diriger parc que lorsqu'il s'agit d'initier des bases d'un développement, on se détourne de l'original. Dès les indépendances, les gouvernements africains ont créé des emplois en installant l'administration post-coloniale. Les effectifs pléthoriques de fonctionnaires pèsent lourdement sur le budget de certains états, qui ne peuvent pas se prévaloir d'une possibilité d'ouvrir les vannes de l'embauche des fonctionnaires. Il reste l'initiative privée qui elle, est pragmatique. Un environnement propice, paisible avec des perspectives à long terme rassure et appelle des investisseurs. Le contraire les repoussent vers des contrées plus adaptées. Le Mali a pourtant d'énormes potentialités minières. Il reste à en faire un levier de développement.